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Les Mots : Quelle histoire ! Racisme

Les Mots : Quelle histoire ! Racisme

Les mots ont une histoire. Ils naissent, se transforment, évoluent, retournent leur veste, changent de sens, opèrent des glissements et surgissent là où on ne les attendait pas. Aujourd’hui, Heliane Bernard a choisi un mot brûlant : Racisme.

 

RACISME : 1902, NAISSANCE D’UN MOT TACHÉ DE HAINE.

« Le racisme et la haine ne sont pas inclus dans les péchés capitaux, ce sont pourtant les pires. »  Prévert,  octobre1976

Le mot apparaît pour la première fois, en 1902, dans la revue « Blanche » !!! (On ne saurait l’inventer.)  « Il ne m’appartient pas de faire ici le procès du racisme et du traditionalisme. » y écrit Albert Maybon, dans un article intitulé « Félibrige et nationalisme ». Le mot lui sert pour dénoncer le caractère réactionnaire et chauvin du mouvement Félibrige créé à l’initiative de Frédérique Mistral pour restaurer la langue provençale. Conscient qu’il est en train de forger un mot nouveau, issu de Race, l’auteur, l’inscrit en italique. Cependant le mot ne se généralise vraiment qu’à partir des années 1920 avec l’essor du colonialisme.

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MAIS REVENONS SUR LES RACINES DU MAL…

RACE : Le mot nous vient d’Italie : emprunté à razza en 1480, il  a traversé les frontières, issu peut être du latin ratio (nature, qualité), ou de generatio. Il est dit aussi que razzarassa (fin XIIe s.) et l’ancien français generace (famille) proviendrait d’un croisement  de generatio et ratio. Autre version, pour certains anthropologues, le mot dériverait de « ras », qui en langue sémite signifie « origine », et en arabe « tête », utilisé dans le sud de l’ Espagne à la fin du XIV° siècle pour « race » de bétail.

Au XVIe siècle, bien implanté en France, il est lié à l’idée de la génération. En témoigne l’emploi qu’en fait  Rabelais, qui, dans Pantagruel, évoque avec drôlerie la généalogie de races  d’individus que l’on reconnaît à leurs particularités physiques ou morales. Le mot a aussi le sens de « parenté », de « lignée », de « souche ».

Les explorateurs européens, dès le XVe siècle, découvraient non seulement des terres inconnues  mais aussi des animaux et des êtres humains à l’aspect physique et aux coutumes différents. Ils capturent ces « créatures » et les ramènent des Îles ou  d’Amérique pour les étudier. Le XIXe siècle ira plus loin dans l’ignominie avec la création de zoos humains.

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Racine, né en 1150, a le même sens, à la Renaissance, que  race. Race et racine, genos en grec ou gens en latin, en effet, qualifiaient l’un et l’autre  des groupes humains. Le poète Joachim Du Bellay (1522-1560)  parle de race noble ou de race humaine.

ON NE MÉLANGE PAS LES TORCHONS AVEC LES SERVIETTES !

En Europe, depuis le Moyen-Age et pendant des siècles, l’aristocratie a attaché beaucoup d’importance au sang dont elle était issue et qu’elle se devait de transmettre. On ne se liait pas avec n’importe qui. Une mésalliance était une faute grave, une tache dans la généalogie de la race, dans son sang !

À partir du XVIIIe siècle, les sciences naturelles s’en mêlent. Elles menacent le modèle de la Bible – tous les hommes descendent d’Adam- et Adam était forcément blanc – ! Les disputes font rage entre les naturalistes. L’entrée en scène de Darwin, biologiste et naturaliste anglais (1809-1882), et de sa théorie sur l’évolution des espèces en 1859 –  De l’origine des espèces – va déchaîner les passions. Il s’ensuit au XIXe siècle, un grand débat sur les races. C’est le siècle de la science toute puissante, ce qui a permis de faire des classifications sans vraie analyse et de donner facilement à toute théorie une apparence scientifique.  Plus grave, certains savants ou théoriciens vont l’utiliser pour bâtir, à l’aide de citations tronquées, les théories d’un darwinisme social, c’est-à-dire appliquer aux sociétés ce qui concerne l’être vivant, qui aboutira au pire : la justification de l’anéantissement de certaines populations.

Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882), écrivain et diplomate français, peut être considéré, avec son délirant  Essai sur l’inégalité des races  humaines (1855) comme étant à l’origine de la théorie selon laquelle « la civilisation » se développe et s’anéantit en proportion de la pureté du « sang aryen ». Gobineau qui a forgé son racisme – le mot est encore dans les limbes – en se référant à la Révolution de 1789, rejette en fait plus que tout l’idée de l’influence du milieu sur les transformations humaines.

L’antisémitisme est très virulent au XIXe siècle. En témoigne l’affaire Dreyfus qui dressa les uns contre les autres des pans entiers de la population française.

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On ne qualifiait pas encore de racistes tous ceux qui  rejetaient l’autre parce que différent. Mais il n’avait pas fallu plus d’un siècle pour qu’effectivement les théories de Gobineau, par le cheminement insidieux d’une forme de romantisme, entre autres celui du musicien allemand Wagner (1813-1883), reviennent et soient mises en pratique par Hitler et ses nazis, assassinant juifs, tsiganes, programmant leur génocide, c’est-à-dire leur disparition. Il qualifie le peuple juif de « sous-humanité » en face d’une autre population  qu’il affirme supérieure, de race aryenne, aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Sans cesse depuis, ces théories se sont étendues. Elles gangrènent la société, justifiant les génocides et toutes les guerres ethniques ou religieuses. Les théoriciens du racisme et leurs adeptes vont jusqu’à la négation de leur humanité.

La loi s’impose : Le mot « race » apparaît pour la première fois dans notre législation en avril 1939. Un décret-loi du Garde des sceaux Paul Marchandeau prévoyait des sanctions :« […] Lorsque la diffamation ou l’injure, commise envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée, aura eu pour but d’exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants. » Le décret-loi est abrogé l’année suivante par le régime de Vichy qui réintroduira le mot « race » dans la loi servant de fondement aux lois antisémites instaurées dès le mois d’octobre 1940.

Sans distinction d’origine, de race ou de religion. Après  la Seconde Guerre Mondiale, le mot « race » réapparaît dans le préambule de la Constitution en 1946. Cette fois, pour combattre le racisme : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »

Le 12 mars 2012, François Hollande déclare : «  La République ne craint pas la diversité. La diversité, c’est le mouvement, c’est la vie. Il n’y a pas de diversité des races. Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Et c’est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot « race » de notre Constitution. »

Le racisme  n’est pas seulement biologique ou religieux, il est aussi social, établissant des barrières mentales ou physiques, créant des ghettos, refusant la pensée de l’autre, la mixité, le mélange qui pourtant a toujours été et est source de richesses matérielles et morales.
Avec les décennies, il semble que la haine prolifère et autorise l’anéantissement d’un peuple par un autre, d’une ethnie par une autre, d’une religion par une autre.

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Le racisme, fondé sur le mépris, la peur des autres groupes humains, l’obscurantisme, s’appuie sur des raisonnements mensongers, des idées volontairement dévoyées, des textes tronqués. Ses théoriciens profitent du manque de culture et d’éducation de la plupart de ses partisans, s’appuyant sur des revendications populistes. Le racisme a des cousins, le sexisme, le machisme et la xénophobie. Le mot est, somme toute, assez récent au regard des siècles, et a maintenant une connotation bien précise, laissant loin derrière lui race ou racine.

La première morale de cette histoire c’est qu’il ne faut pas mettre ce mot à toutes les sauces. C’est un mot brûlant, qui blesse et qui tue. La seconde, c’est que les seuls remèdes au racisme sont l’éducation, l’apprentissage du bien vivre ensemble et l’application stricte, absolue de la laïcité, à construire tout au long de la scolarité, dans les centres culturels, dans les milieux associatifs, dans les familles qui prennent enfin conscience de la menace que sont les fanatismes religieux ou politiques.

Heliane BERNARD

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