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L’ŒIL ET LE MOT / Darwin – Episode 2 : Le procès du singe

L’ŒIL ET LE MOT / Darwin – Episode 2 : Le procès du singe

Et si une mise en perspective des irrévérences des caricaturistes avec des saillies de poètes permettait une plus grande liberté du regard ?

 

Avec véhémence, les fondamentalistes religieux de tous poils, caricatures à l’appui, repartent à l’assaut de la science et se font les chantres d’une pensée obscurantiste que l’on estimait obsolète depuis les découvertes de Darwin. Connus sous le nom de créationnistes, ils revendiquent leur légitimité dans les textes sacrés. Galilée, Copernic, Darwin… au secours !

ÉPISODE 2 : 1925 LE PROCÈS DU SINGE

LE COMBAT DES ANCIENS ET DES MODERNES.

Le premier conflit mondial vient à peine de s’achever et l’Amérique se trouve divisée entre ceux qui aspirent au plaisir, à la libération des mœurs et au progrès social et ceux qui militent pour un retour à des valeurs traditionnelles autour du travail, de la famille et d’une Amérique aux Américains. En 1919, plusieurs pasteurs presbytériens et baptistes, mais aussi méthodistes, fondent aux Etats-Unis la World’s Christian Fundamentals Association, pour défendre des points de la foi qui leur apparaissent fondamentaux,  donnant ainsi naissance à l’expression « fondamentalistes ». Ils revendiquent une interprétation littérale de la Genèse et rejettent en bloc les théories évolutionnistes de Darwin, publiées soixante ans plus tôt.

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Le mouvement fait écho au mouvement des catholiques « intégraux » né en Europe de l’encyclique pascendi de Pie X qui condamne dès 1907 certains apports de la science jugés trop modernistes. Les « intégristes » comme les « fondamentalistes », se réclament de la tradition. Pour tous l’homme est une création divine. Tous refusent en bloc l’idée d’une évolution biologique.

1925 LE BUTLER ACT

Le Ku Klux Klan est alors à son apogée (environ 5 millions de membres vers 1925). Il prend pour slogan : « Native, White, Protestant. » Les ligues de tempérance consacrent la victoire de la Prohibition.
C’est dans ce climat de retour à l’ordre moral qu’en 1925, plusieurs états américains dont le Tennessee, établissent le Butler Act. La loi  interdit « à tout enseignant d’université, d’école normale ou de toute autre institution publique, financée entièrement ou partiellement par les fonds d’État, d’enseigner une théorie qui nie l’histoire de la création divine de l’homme, telle qu’elle est enseignée dans la Bible et qui prétend que l’homme descend d’un ordre inférieur d’animaux. »

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En juillet de la même année à Dayton (Tennessee) aux États-Unis, s’ouvre un procès qui restera dans l’histoire sous le nom du « Procès du singe » opposant John Thomas Scopes, professeur de l’école publique de la ville, au parti des fondamentalistes chrétiens. On lui reproche d’avoir enseigné la théorie de l’évolution en dépit de la loi.

Le procès commence le 10 juillet dans une ambiance de guerre civile.

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Vente d’ouvrages anti-évolutionnistes dans le Tennessee (« L’Enfer dans les lycées ») à l’ouverture du procès Scopes, le 10 juillet 1925.
Face au tribunal, un pasteur, T.T. Martin, invité par la Ligue anti-évolutionniste prend à partie les badauds : « L’évolution ou le Christ ? Paierons-nous des impôts pour damner nos enfants ? » Le ton est donné.
En proximité, dans une atmosphère partagée entre frénésie religieuse et ambiance de foire, un montagnard aveugle, chanteur de cantiques, un écriteau sur la poitrine se présente comme le plus grand spécialiste biblique au monde. Il harangue la foule : « posez-moi donc une question ! »

UN SACRÉ JURY !

Un jury est désigné, la plupart sont fermiers de leur état. Au grand dam de la défense, il compte 11 fondamentalistes sur 12. L’un d’entre eux se  déclare illettré, trois n’avoir lu d’autre livre que la Bible, six précisent appartenir à l’église baptiste, quatre sont méthodistes et un « campbellite » (membre d’une église calviniste et évangélique, dite des Disciples du Christ.)
Le procès voit s’affronter le procureur William Jennings Bryan, l’avocat de l’État,  presbytérien conservateur et l’avocat de la défense Clarence Darrow, un célèbre pénaliste et libre-penseur. Derrière ces deux hommes s’affrontent de fait la World’s Christian Fondamentals Association, représentant d’un côté  les « forces de la Bible » et la « religion des pères » et de l’autre, l’American Civil Liberties Union, que les anti-évolutionnistes décrivent comme porte parole de l’athéisme et de la « menace rouge ». Pour le procureur Bryan, trois fois candidat démocrate à la Maison Blanche, brillant évangéliste et grand pourfendeur du darwinisme, les arguments sont simples :

– « Notre but, notre seul but, c’est de faire valoir le droit des parents à protéger la religion de leurs enfants contre les efforts entrepris au nom de la science pour ébranler leur foi en une religion surnaturelle. On ne s’attaque pas à la liberté d’expression, ni à la liberté de pensée, ni à la  liberté de la presse, ni au libre échange des idées. Mais les parents ont sûrement le droit de sauvegarder la santé religieuse de leurs enfants. »

Il s’en prend à l’évolutionnisme, une théorie « selon laquelle l’homme descend d’un ordre inférieur d’animaux. », une théorie qu’il juge diabolique et dangereuse pour la jeunesse du Tennessee.

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« La Bible, (poursuit Bryan), l’histoire du fils de Dieu, le Sauveur du monde, né de la Vierge Marie, crucifié et ressuscité cette Bible ne sera pas chassée de ce tribunal par des experts qui ont fait des centaines de kilomètres pour déclarer qu’ils savent concilier l’évolution, qui nous propose un ancêtre dans la jungle, avec l’homme créé par Dieu à son image, et mis ici sur terre, au profit de Dieu selon la volonté divine. »
L’A.C.L.U. (l’American Civil Liberties Union) mobilise la presse nationale.  H. L. Mencken, la star New Yorkaise du journalisme couvre l’événement. L’issu du procès est sans surprise. On ne juge pas du bien fondé de l’évolution mais bien de la transgression de la loi. L’enseignant est condamné à verser une amende de 100 dollars pour avoir transgressé la loi Butler.

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Le procès connaît une résonnance dans tout le pays. Les médias s’en emparent. Des centaines de journalistes ont fait le déplacement. Les caricatures se multiplient. On parle d’un « retour aux jours de l’Inquisition. » Un procès est pour la première fois radiodiffusé nationalement. Bien que les créationnistes aient remporté le procès, l’énorme retentissement des débats fait du « Procès du singe » le symbole de la querelle opposant la science à l’obscurantisme et aboutit à la défaite des créationnistes face à l’opinion publique américaine.

Il faudra toutefois attendre 1968 pour que le Butler Act soit déclaré anticonstitutionnel dans l’Arkansas où la loi anti-évolutionniste était restée en vigueur.

Mais comme « tout finit par des chansons » : Charleston, une chanson due au pianiste James P. Johnson et à Richard D. McPherson, devint une danse dont toute la jeunesse s’empara comme d’un manifeste, en accentuant les gestes des bras d’une manière « simiesque », comme pour dire que « nous descendons tous du singe », en déni au K.K.K. (Ku Klux Klan) qui multipliait ses crimes racistes.

Alexandre Faure

(Revoir)

Le premier épisode de l’Oeil et le Mot consacré à Darwin.

(À suivre)

Le troisième épisode consacré à Darwin

À lire de Gordon Golding, Le Procès du singe. La Bible contre Darwin, Bruxelles, Editions Complexes, 1982.

À découvrir L’exposition Darwin, l’original : Exposition temporaire jusqu’au 31 juillet 2016 à la  Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris. 30 avenue Corentin Cariou, 
75 019 Paris, France. Une exposition conçue en partenariat avec le Muséum National d’Histoire Naturelle.

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À ÉCOUTER EN SOUVENIR DE NOS ARRIÈRES GRAND-MÈRES ET ARRIÈRES GRANDS PÈRES QUI SE FAISAIENT DES CÂLINS SUR LES COCOTIERS

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PETITES PHRASES ENCHANTERESSES :

« Le gorille est supérieur à l’homme dans l’étreinte. Bien des femmes vous le diront ! Gare au Gorille ! » (Extrait du Gorille de Georges Brassens)

« « Arrête de faire le singe», disaient toujours mes parents.
Un jour, Papa en a eu marre. Il m’a emmené au zoo et m’a dit : «Tu vois ce qui se passe quand on fait le singe ? Tu veux finir dans une cage ?»
Non, je ne voulais pas être enfermé. Alors je suis parti. Il y avait de la place pour moi dans ce vaste monde. »
Mario Ramos (extrait de son album pour enfants, Arrête de faire le singe, paru en 2010 à l’École des Loisirs.)

LA PAROLE EST AU POÈTE :

L’élixir pour les gorilles
« Autrefois c’était tout plein
De gorilles sur la terre :
Il y en avait des malins,
Des brutes, des terre à terre.
Les malins voulaient avoir
Pour eux  seuls toute la place ;
Dirent un jour : « Faudrait voir
A ce qu’on se débarrasse
De ces pauvres illettrés,
Sans nul esprit, malhabiles,
Chétifs, souffreteux, débiles,
Qui surpeuplent nos forêts ! »
Finirent par réussir
A les chasser du royaume
A l’aide d’un élixir
Qui les transforma en hommes !
N’oublions pas désormais
Que chacun de nos semblables
Peut être un gorille mais
Est-ce que c’est reconnaissable ?

Pierre Ferran (1930-1989)

Poète et écrivain, instituteur, chercheur, humoriste, écologiste… Pierre Ferran a collectionné les métiers comme il collectionnait les curiosités et les objets insolites. L’auteur du recueil de nouvelles « Le dernier homme fut Adam » nous semblait tout naturellement avoir sa place dans ce dossier hommage à Darwin. Il avait d’ailleurs comme le naturaliste sa petite idée sur la création du monde.

Le cinquième jour
Du haut d’un nuage,
Les mains rouges d’argile,
Dieu contemplait les animaux :
– « Je suis mécontent du zèbre,
Dit-il à saint Rémi
Qui tenait la liste,
Il ressemble trop au cheval,
Rayez-le ! »

Pierre Ferran, Les yeux, 1971

À ÉCOUTER AUSSI :

L’hommage rendu par Léo Ferré à son chimpanzé Pépé. Une belle histoire d’amour.

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