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LES FIGURES DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION : BEAUMARCHAIS

LES FIGURES DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION : BEAUMARCHAIS

Heliane Bernard retrace les portraits qui ont marqué l’Histoire de la Liberté d’expression.
Aujourd’hui : Beaumarchais.

 

LES COMBATTANTS : LEUR ARME C’EST LA PLUME !

Il n’y a que les petits hommes qui craignent les petits écrits. Figaro

     La Folle Journée ou le Mariage de Figaro, c’est l’histoire d’une pièce de théâtre, longtemps interdite, et que son auteur, Beaumarchais, a dû défendre pied à pied pour qu’elle soit représentée et imprimée. Ecrite en 1778, elle n’eut l’autorisation d’être jouée qu’en 1884. La première officielle, qui a été un triomphe sans précédent, a coûté à Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais sa réputation sulfureuse, des menaces, la prison. Elle est pourtant le terreau des idées qui ont conduit à la Révolution.

Le thème de la pièce est déjà scandaleux : Un valet triomphe de son maître. La critique ironique et acerbe des privilèges  de l’Ancien Régime, de ses abus, de son arbitraire est menée dans le mode le plus percutant qui soit : la comédie. Sous la monarchie absolue de droit divin, c’était d’une folle audace.

Le Mariage de Figaro est présenté au Comité de lecture de la Comédie Française le 29 septembre 1781. La pièce est acclamée et agréée. Selon les procédures de l’époque et pour que sa création puisse être jouée sur une scène, Beaumarchais demande au lieutenant de police Le Noir de trouver un censeur officiel auquel sera adjoint un censeur officieux. Le premier donne son approbation. Pas plus que ce premier, le second ne relève les provocations de Figaro qui évoquent tous les travers du régime monarchique, dénoncent les prisons d’Etat, les représentants de l’Eglise,  de la presse, le libertinage des nobles, régime qu’il devra situer au-delà des Alpes, en Espagne :

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LA TIRADE SCANDALEUSE… CELA NE SERA JAMAIS JOUÉ !

     Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places : tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus  (… )  

     Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance, qu’aux lieux  où l’on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.

large(Extrait de la tirade de Figaro, valet de chambre du comte Almaviva, in Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3)

Dès ce moment, la polémique s’installe dans les Salons de Paris, et à la Cour. Immorale, provocatrice, partout, on parle de La Folle Journée, avant même qu’elle ait été jouée ! Louis XVI veut en avoir le cœur net. Il se fait lire la pièce. La fameuse tirade le fait bondir : « C’est détestable, cela ne sera jamais joué ». La sentence est immédiatement confirmée par une lettre du roi au Garde des Sceaux : « Je vous renvoie, Monsieur, écrivait-il, la comédie de Beaumarchais. Je l’ai lue et fait lire ; le censeur ne doit en permettre ni la représentation, ni l’impression. »

L’auteur abandonne l’idée de faire interpréter Le Mariage de Figaro, ce qui ne l’empêche pas d’en multiplier les lectures dans les Salons parisiens ou chez les plus hautes personnalités de la Cour, là où il sait que les auditeurs, soigneusement choisis, se chargeront d’en répandre les bons mots et d’en faire la publicité.

NOUVEL ECHEC

Avec la complicité du frère du roi et de nombreux courtisans, Le Mariage devrait être représenté à l’Hôtel des Menus Plaisirs le vendredi 13 juin 1783. Vers midi de ce jour, un courrier se précipite dans la salle et tend une lettre de cachet interdisant, par ordre du roi, la représentation. Personne n’a pu être prévenu. Les fiacres avancent. On se bouscule et quand la nouvelle se répand, la fureur éclate. Cette atteinte à la liberté d’expression soulève la colère. On entend les mots délictueux de tyrannie, d’oppression. Beaumarchais, menacé, part à Londres pendant que ses partisans à la Cour se démènent pour obtenir l’autorisation du roi. La reine Marie-Antoinette s’en mêle et obtient de Louis XVI que la pièce soit produite sur une scène privée, chez le comte de Vaudreuil.

Beaumarchais, soutenu par l’opinion publique, se bat pour que La Folle journée soit jouée devant le grand public. Il demande d’autres censeurs. Il n’en trouve pas, tant les remous de la comédie font peur. Finalement le cinquième et dernier censeur écrit :
«  C’est à la liberté dont jouissait Molière que nous devons la morale dont ses pièces sont remplies… » Desfontaines, censeur royal, ce 15 janvier 1784.

Enfin ! Beaumarchais respire, mais les mois passent, le veto royal est maintenu. Un sixième censeur est nommé qui approuve la pièce. Rien ne bouge. Beaumarchais demande alors la permission de faire une ultime lecture devant « un tribunal composé  d’académiciens français, de censeurs, de gens de lettres… qui discuteront sur le fond, la forme et la diction de cette pièce, scène par scène, phrase par phrase, mot par mot. »

Le roi cède. La date de la première est arrêtée : le 27 avril 1784.

UN JOUR HISTORIQUE

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C’est un triomphe absolu ! Dans une lettre datée du 3 mai 1784, le jésuite Joseph Cerutti écrit : «  Le Mariage de Figaro est la comédie la plus folle, la plus gaie, la plus impertinente, la plus ingénieuse du monde. Si je n’étais pas malade, j’y retournerai pour rire, pour siffler, pour applaudir… » Beaumarchais exulte. Il parle fort, est au comble de sa gloire. Ces manifestations déplaisent au roi qui l’envoie, en mars 1785, passer quelques jours à la prison de St Lazare.

Le théâtre a toujours servi à diffuser les idées nouvelles et dans le cas du Mariage de Figaro, – certainement le plus grand triomphe théâtral du siècle – les rires que déclenchaient ses tirades ont fait plus pour répandre les idées révolutionnaires de liberté que n’importe quel discours.

Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. 

La célèbre réplique du personnage de Beaumarchais figurera à la une du quotidien Le Figaro, dès sa création en 1826.

PETITE BIOGRAPHIE EN QUELQUES DATES

medium     Pierre-Augustin Caron est né en 1732 à Paris. Son père tient une boutique d’horlogerie. À 13 ans, Pierre-Augustin fait son apprentissage d’horloger chez son père. En 1753, il devient horloger du roi.

En 1777, Beaumarchais fonde la première société d’auteurs pour promouvoir la reconnaissance de droits au profit des auteurs. Mandaté par cette société d’auteurs, il entre en guerre avec la Comédie Française : À son instigation, les auteurs refusent de lui livrer des pièces nouvelles.

Aventurier, financier, inventeur de « l’échappement », mécanisme qui révolutionna l’horlogerie, spéculateur, trafiquant d’armes, éditeur de Voltaire, auteur, à l’origine de la loi sur la reconnaissance des droits d’auteurs votée le 13 janvier 1791.  En 1793 les révolutionnaires accordent aux auteurs le droit exclusif d’autoriser la reproduction de leurs œuvres pendant toute leur vie puis aux héritiers pendant une durée de cinq ans. À l’issue de ce délai, l’œuvre entre dans le domaine public.

Beaumarchais  est un personnage de roman, dérangeant, encombrant, insolent, imbu de sa personne, généreux, fils et frère dévoué, ami sûr. Sa réputation est épouvantable. Ce diable d’homme mène au galop une vie délirante où affaires, intrigues, procès, théâtre se mêlent, continuellement. Homme des Lumières, il a porté au théâtre les idées des Lumières. Il meurt à Paris en mai 1799.

Enterré au Père Lachaise, Beaumarchais l’impertinent ne pouvait se douter que le nom de son héros deviendrait en 1826 le titre d’un « Journal satirique, spirituel et batailleur » en pied de nez à la féroce censure monarchique de l’époque.

Heliane BERNARD

Chanson sous forme de parodie sur l’air du Mariage de Figaro.

largeQuoi ! par un ordre suprême,
Te voilà, charmant roué,
Pour achever ton carême
À St. Lazare cloué.
À cette rigueur extrême,
En chrétien résigne-toi ;
Les plus forts ont fait la loi… bis.
Sans doute que les bons Pères,
Voudront charitablement,
Te donnant les étrivières,
De toi faire un pénitent ;
À ces fesseurs de derrière,
Fait beau cul, si tu m’en crois,
Les plus forts ont fait la loi… bis.

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