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LES FIGURES DE LA LIBERTE D’EXPRESSION : NAZIM HIKMET, UN POETE TURC DE LEGENDE

LES FIGURES DE LA LIBERTE D’EXPRESSION : NAZIM HIKMET, UN POETE TURC DE LEGENDE

Nazim Hikmet est certainement le plus grand poète turc du XXème siècle et certainement le plus connu du monde occidental. Passionné et fortement engagé politiquement, ce personnage rare, va passer de nombreuses années en prison. Libre, il sera traqué, poursuivi et menacé pour subversion, délits de mots, et contraint à l’exil. Son génie a été de concilier la poésie des mots et l’action sociale et politique.

 

large« Moi un homme

Moi Nazim Hikmet poète turc  moi

https://twitter.com/Ferveur des pieds à la tête

Des pieds à la tête combat

Rien qu’espoir, moi » 

(Il neige dans la nuit et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 1999)

 Des paroles splendides, qui le résument, voilà pourquoi j’aime Nazim Hikmet :

LE TEMPS DE LA RÉSISTANCE

Nazim Hikmet est né à Salonique en Grèce le 21 novembre 1902 dans une famille éprise de culture qui reçoit les artistes et les intellectuels. Nazim, dans ce milieu, côtoie les avant-gardes du théâtre, du cinéma, des peintres, des écrivains et des poètes.

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1915 Il a 13 quand il écrit son premier poème Cri de la patrie.

Comme la plupart des jeunes turcs du début du XX° siècle, Nazim bout d’impatience. Révolté contre le nationalisme et le despotisme du régime, il rejoint la Résistance en Anatolie.

« Nous n’avons plus de place dans le ventre

Pour la rose, pour le rossignol, pour l’âme…

Et pour le moment nous nous moquons des affaires de cœur… »

(Il neige dans la nuit et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 1999)

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1920 : Nazim, exalté par la lutte des paysans pour l’indépendance, rejoint le mouvement de Mustafa Kemal à Ankara. Durant ce voyage qu’il fait à pieds, il a le temps d’observer la réalité de la vie des paysans d’Anatolie, leur condition de vie déplorable, leur soumission. Il s’imprègne de paysages et de souvenirs qui feront écho dans son œuvre. Un an après, il retrouve Moscou, où il suit des cours de sociologie à l’Université communiste des travailleurs d’Orient.

LA RUSSIE ET SES AMOURS

1923 : Retour en Turquie. L’occupation alliée se termine. Le pays qui s’était allié à l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, est libéré des interventions étrangères. Le sultanat est aboli. La République est proclamée. Mustafa Kemal Ataturk en est le premier président. Membre du parti communiste turc clandestin, – le parti est interdit – Nazim ne reste qu’un an en Turquie et retourne secrètement en Russie. Il fréquente les milieux intellectuels et artistiques, se lie aux peintres et sculpteurs de l’avant-garde russe futuristes et aux constructivistes russes.

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1925 : À Moscou, il a épousé Lena et décide de revenir en Turquie avec elle. (Nazim épousera aussi Piraye en 1936, Munevver en 1948 et Vera en 1960) ! Enthousiasmé par la Révolution d’Octobre, il célèbre avec des milliers d’autres l’arrivée au pouvoir de Joseph Staline. Mais en 1961, toujours communiste comme il l’était à vingt ans, il crie son mépris pour ce même Staline, homme « de plâtre et de papier mâché ».

1er mai 1925 : De nombreuses lois sont édictées contre les libertés. Nazim, qui distribue des tracts pour son parti, est condamné à 15 ans de prison, peine abrogée un an et demi plus tard.

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LA POÉSIE,  « LE PLUS SANGLANT DES ARTS »

1928 : Publication de son premier recueil de poèmes en russe, à Bakou Chanson de ceux qui boivent le soleil : le fond comme la forme en sont révolutionnaires. Il écrit pour différents journaux, monte des pièces de théâtre, des scénarios de films.

Nazim, membre du P.C., est condamné par contumace. Revenu clandestinement, il est arrêté à Hopa, purge plusieurs mois de prison à Istambul.

De 1929 à 1938, il publie un à deux recueils de poèmes par an, qui innovent et balayent les formes du passé. Arrêté, relâché, il est sans cesse traqué. C’est un homme en colère qui lutte contre le conservatisme ou le dogmatisme. Toujours en mouvement, il entraîne avec lui ses camarades de combat, aussi bien sur le plan politique que littéraire. Ses poèmes sont traduits en français.

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LE LIVRE, LES MOTS, VOILÀ LES ENNEMIS

1933 : « Imprégnés de révoltes et de révolution » ses livres sont mis en accusation. Nazim, en prison attend son jugement. Le procureur demande sa condamnation à mort !

Malgré tout, ces années sont fertiles en création et activités poétiques et politiques.

À la suite de la publication de Le Télégramme est arrivé la nuit, il est Incarcéré à Bursa, condamné d’abord à 6 mois de prison puis quelques mois plus tard à un an, puis à cinq ans pour un autre poème, amnistié ensuite pour célébrer le 10ème anniversaire de la République. Les autorités n’ont pas peur de leurs contradictions car certains de ses poèmes sont choisis pour figurer dans un manuel de littérature contemporaine de classes de terminale !

1935 :  Les Cahiers du Sud en France publient des traductions de ses poèmes. Il travaille comme journaliste et correcteur. Un an plus tard,une œuvre très forte, L’épopée du cheik bédreddine, éloge de la révolte, œuvre majeure de la littérature turque, dit aussi son profond attachement à la terre.page

ANNÉES DE PRISON ET D’EXIL

1938 : Les idées fascistes pénètrent en Turquie. Arrêté, condamné, amnistié, le long chemin de Nazim est émaillé d’années de prison. La police guette. Communiste, certes il l’est, mais au cours du procès, il démonte l’accusation de complot visant à prendre sous son autorité les forces armées par des poèmes, pourtant librement vendus en librairie !  Cette machination du pouvoir fait qu’il se voit condamné en 1938 à 15 ans de prison et l’année suivante à 20 ans.

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original

« C’est aujourd’hui dimanche.

Pour la première fois aujourd’hui

Ils m’ont laissé sortir au soleil.

Et moi,

         M’étonnant pour la première fois de ma vie

         de voir le ciel

                           aussi lointain

                           aussi vaste

                  aussi bleu

         je me tiens immobile…

 

Je suis heureux…» 

Prison d’Ankara, 1938

(Nostalgie, éditions fata morgana, 1989)

LE MAÎTRE OU « L’ARBRE AUX YEUX BLEUS »

1940-1942 : Transféré à Ankara puis à Istanbul. Il rédige Epopées de la Guerre d’Indépendance, puis transféré à Bursa, il commence à écrire Paysage humains, long poème qui célèbre le peuple turc.

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Nazim est malade, les reins le cœur. Les autres condamnés l’appellent Maître, ce prisonnier misérable qui travaille dur au tissage pour améliorer son ordinaire. Jamais il ne se plaint. Il est là, il soutient, intervient pour les uns et les autres, pour demander un savon, un remède, un bain. Tous le respectent. L’homme rayonne et apporte à ses codétenus courage et aide.

Dans le contexte de la 2° Guerre Mondiale, il entreprend, un poème de 12 mille vers Les Paysans humains, une fresque gigantesque de la Turquie, contribution majeure à la littérature  épique, épopée sur le destin des hommes.

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Il traduit Guerre et Paix de Tolstoï. Mais il n’en peut plus.

«  Vivre n’est pour moi qu’un devoir. C’est pour cela que j’ai acquis une force effrayante, maudite. La force de la pierre, du fer, du bois sec……..Lorsque vivre devient un devoir, il convient de vivre le plus longtemps possible. » 

(Nostalgie, éditions fata morgana, 1989) 

Le Parlement demande la révision de son procès.

1947 :  grave angine de poitrine.  Ses amis s’inquiètent. Il attend une amnistie. En France, un comité de soutien pour sa libération se crée à Paris, présidé par Tristan Tzara, soutenu par Jean-Paul Sartre, Pablo Picasso, Louis Aragon….

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1950 : la Turquie est admise au Conseil de l’Europe. Les choses changent. À la veille des élections législatives, le 8 avril 1950, Nazim commence sa grève de la faim à Bursa. Amis, intellectuels, peintres, poètes, étudiants, se mobilisent pour l’arracher de la prison. Cette grève suscite une émotion immense qui se répercute partout dans le monde. Transféré à Istambul, il est enfin libéré avec des milliers d’autres prisonniers. Il rejoint sa cousine Munevver, qui lui donnera un fils en 1951.

«  Cela fait cent ans

Que je n’ai pas vu ton visage…» 

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1952 : Nouvel infarctus. Les années qui suivent sont toujours aussi productives : Dans la sueur et dans le sang ; Ivan Ivanovitch a-t-il existé ? aussitôt interdit ; C’est un dur métier que l’exil…

C’est la fin du parti unique.  Mais sa vie est à nouveau menacée. On veut se débarrasser de lui. L’armée turque lui demande de faire son service militaire. Il a 49 ans. Il est gravement malade. Il faut fuir. Il laisse femme et enfant et quitte secrètement la Turquie pour l’U.R.S.S.. Il voyage : Italie, France, Syrie, Cuba pour retrouver sa jeunesse dit-il. Et rencontre un nouvel amour, Vera. Commis voyageur de l’art turc, il fait traduire les poètes, les romanciers, les chanteurs de son pays.

Déchu de sa nationalité turque, il finit sa vie citoyen Polonais.

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1955 : Il reçoit le prix international de la paix avec Pablo Picasso, Pablo Neruda, Paul Robeson et Wanda Jakubowska. Se rend souvent à Paris.

1961 :

 «  Sans trêve  ni répit je pense à la mort

c’est donc que mon tour est proche. »         

Leipzig, 10 septembre 1961

3 juin 1963 : Il meurt d’une crise cardiaque et est enterré à Moscou. Il avait pourtant demandé d’être enterré en Anatolie,  dans un cimetière de village

 «  Et si possible, un platane au-dessus de moi suffit. »

1964  Publication des poèmes de Nazim en Turquie après 28 ans d’interdiction

Sa nationalité lui sera rendue à titre posthume.

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CETTE MOISSON TERRIBLE FERA AUSSI SON ŒUVRE.

Réfugié en URSS, Il ne reniera pas son passé communiste car quels que soient les crimes du régime stalinien, il estime qu’il fallait aider le peuple turc à se libérer de l’oppression et répandre les idées de paix et de liberté prônées par le socialisme.

Ses combats, ses passions d’homme amoureux exilé et emprisonné de militant indestructible, s’exaltent en des mots brûlants et simples, d’un lyrisme tout oriental auquel il mêle la réalité poétique ou sordide… Malgré la faim, le froid, les mauvais traitements, la douleur, la maladie, les humiliations, Nazim trouvera en ces lieux d’enfermement, la réalité tangible de la misère, de la solidarité, du rayon de soleil ou de la nostalgie. Il rencontrera les victimes de l’injustice, de l’arbitraire, les hommes interdits de paroles et d’idées, et cette moisson terrible fera aussi son œuvre.

Heliane BERNARD

À savourer, sans modération, au choix :

Il neige dans la nuit et autres poèmes, Poésie/Gallimard, Paris, 1999.

Nostalgie, Fata Morgana, Paris, 1989.

Pourquoi Benerdji s’est-il suicidé ? Editions de Minuit, Paris, 1980.

C’est un dur métier que l’exil…, Le Temps des Cerises, Paris, 1999.

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