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Daesh, les Super Bock et la résistance de comptoir.

Daesh, les Super Bock et la résistance de comptoir.

Les attentats du 13 Novembre n’ont pas seulement fait 130 victimes. Parce qu’ils ont perdu un mari, une épouse, un enfant, un ami, un ami d’ami ou un collègue de bureau, parce qu’ils allaient boire des Super Bock au Carillon, parce qu’ils écoutaient Eagles of Death Metal, parce qu’ils aimaient passer un week-end à Paris ou parce qu’ils sont allés, un jour, au Stade de France, ce sont 65 millions de Français qui ont été touchés ce jour-là. Autant de gens qui sont entrés en résistance et qui l’ont dit ; 65 millions de voix, de cris, de pleurs, d’idées et d’interrogations. Comme un écho assourdissant à tout ce qu’ils avaient déjà dit le 11 Janvier 2015, pour le meilleur comme pour le pire.

Certains ont choisi de bombarder Daesh, d’estimer que « la sécurité est la première des libertés », de proposer d’interner les citoyens fichés S, de rétablir la peine de mort (oui, même pour lutter contre des kamikazes…), ou même d’installer une crèche de Noël dans leur mairie.

D’autres, ont préféré prôner l’amour, l’humanisme et la paix. Ceux-là ont juré de continuer à rire, à dessiner, à créer et se moquer de tout et de tous. Ils ont juré de continuer de boire des coups, de se rendre à des concerts ou à des matchs de foot. Ils ont juré de continuer à vivre. Ils l’ont dit, répété, en ont fait des hashtags sur Twitter, des articles dans Libé, Le Monde et le Figaro, partout, ils ont dit merde aux cons et ont même prié pour Paris (prié ? contre des extrémistes religieux…?). Ils ont dit « nous sommes Charlie », « nous sommes Paris », ils ont défilé par millions, ils ont sorti leur plus beau drapeau bleu-blanc-rouge et chanté des marseillaises jusqu’à épuisement. Ils ont décidé de résister comme ÇA, en défendant leur mode de vie ; notre premier ministre dirait : notre civilisation.

Elle est là cette Unité Nationale dont on nous a tant parlé : dans cette résistance médiocre décrétée à l’unanimité. Oui, nous tous, Français de toutes les origines, de tous les partis, de tous les âges et de toutes classes sociales, nous sommes mollement entrés en résistance face à la terreur. Oui, comme d’habitude, nous avons tous ensemble cédé à l’émotion instantanée, au temps court imposé par les media et au déni de complexité si caractéristique de notre époque.
Obnubilés par le terrorisme, nous avons déjà oublié la crise écologique provoquée par la sur-industrialisation de nos sociétés. Cette crise qui provoque chaque année des millions de morts, de déplacés, de réfugiés, de paysans qui perdent leurs terres et d’enfants qui n’ont plus d’école où s’instruire.
Terrorisés par Daech, nous avons déjà oublié notre sur-consommation d’I-phones et de t-shirts H&M produits par ces millions d’esclaves dans les mines de terre rare, usines d’assemblage et ateliers de confection à travers l’Asie et l’Afrique.
Envoutés par le péril arabe, nous avons déjà oublié ces millions de vies humaines que nous avons méprisées en faisant la guerre ou en soutenant des régimes dictatoriaux pour quelques contrats juteux.
Obsédés par l’Islam, nous avons encore oublié ces millions de citoyens Français sans boulot, vivant dans la peur du lendemain et marginalisés par une société vouée à la réussite professionnelle et financière.

Pourtant, ce sont sur toutes ces vies gâchées (ne valent-elles pas celles des parisiens ?), sur toute cette misère, sur toutes ces angoisses, sur toutes ces injustices devenues la norme, sur ce terreau, que naissent la haine de l’autre, la guerre, la barbarie et la terreur. C’est ce monde-là qui enfante si régulièrement des islamistes radicaux, des Richard Durn, des Anders Breivik et des Dylann Roof.

Ces moments de terreurs que nous avons vécu cette année ne sont pas des parenthèses morbides dans un monde merveilleux. Ils ne sont pas quelques petites taches de noir sur une belle page blanche. Ils sont les produits d’un monde complexe, un monde fait de nuances de gris, dans lequel les choix politiques, sociaux, économiques et écologiques interagissent et ont des conséquences quotidiennes sur la vie réelle des gens du monde entier. Voilà pourquoi la résistance ne peut pas être une simple bière en terrasse, une crèche de Noël, un abonnement à Charlie Hebdo ou le retour de la peine de mort. Entrer en résistance, c’est d’abord comprendre le monde qui nous entoure, sa complexité ; ce n’est pas croire qu’il y a des gentils et des méchants mais s’interroger, analyser, éduquer ; ce n’est pas alimenter des polémiques insignifiantes mais élargir son champs de vision. Résister, c’est penser, non pas en victime, mais en responsable.

Voir également

Résister face à la barbarie, c’est résister face à la fabrique de barbarie.

Dimitri KANTCHELOFF


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